mardi 18 décembre 2018

Oh!... censure? (une réflexion)

La censure, c'est un des fondements de l'humanité. Un de ses piliers, même; si on l'enlevait complètement, elle vacillerait sûrement, l'humanité, parce que c'est à l'origine de la société, du comportement en groupe, et ce comportement de groupe, c'est ce qui s'est avéré essentiel à la survie de l'espèce humaine, beaucoup plus que pour les petits-cousins qui vivaient encore dans la jungle.

À découvert, le comportement d'un seul membre du groupe peut s'avérer catastrophique pour l'ensemble du groupe sans refuge, sans jambes pour se sauver d'un prédateur, sans crocs, sans...

Tout nu, l'humain est tout nu dans la nature, sans défense, et sa seule chance de survie, à cette époque, et bien assez vite tous les membres du groupe le saisissent naturellement, c'est la solidarité. Le groupe, le clan, le regroupement, l'entraide, la solidarité, c'est ça qui a permis à cet être frêle et sans défense de survivre, alors même qu'il n'était pas encore tant aidé par un cerveau plus volumineux qui le caractérisera et l'aidera plus tard.

Il était de prime importance, vital, à une étape de notre évolution, que chaque membre du groupe ait un comportement irréprochable, si on peut dire, afin de ne pas faire foirer le plan, de ne pas se faire repérer, ne pas trahir l'emplacement de l'entrée de la caverne... garder le silence alors que la survie du groupe est en danger. Danger perpétuel.

Ainsi se sont développés, il y a je ne sais combien de millions d'années, ou combien de 100,000, je ne sais pas, les prémices de la société, société qui était l'unique chance de survie. Pour chaque individu, la survie et le comportement de l'autre est vital. Le groupe est tout, il n'y a pas vraiment d'individualité. Moi, et ma communauté, c'est pareil, pas de distinction entre les deux.

On peut peut-être voir une vague réminiscence ou vestige plutôt, de cet antique esprit de groupe qui prime sur l'individualité en le communautarisme qui prévalait essentiellement dans les sociétés inuits il y a encore 50 ou 60 ans, et encore aujourd'hui je crois, dans une moindre mesure. Lorsque le pêcheur solitaire prenait une prise, il était heureux non pas pour lui-même mais pour sa communauté. Chacun partageait ses prises avec tout le groupe, tout le village. La précarité de la pérennité du groupe vu les conditions climatiques extrêmes de leur région l'imposait aux Inuits. La solidarité, mais aussi un assez strict respect des traditions. Question de survie.

Cet esprit de groupe caractérisait les société pré-humaines, et c'est au nom de la survie du groupe que chaque membre surveillait l'autre, le rappelait à l'ordre: ne pas crier ici, ou maintenant... ne pas bouger, ne pas faire ci ou ça... chaque membre du groupe surveille l'autre, d'abord les aînés qui savent mieux que les autres, qui en influencent d'autres à rappeler les autres à l'ordre...

Voyez un peu ce que je veux dire? C'est pour ça, que, partout, dans la rue, dans nos familles, on critique l'autre. On fait ça, les humains yo! Tout le temps. As-tu vu l'autre... qui ne correspond pas... Ce comportement qu'on a, cette manie qu'on a de critiquer l'apparence, le comportement ou les propos des autres... eh ben c'est très antique, ça fait partie de l'essence même de l'humain. C'est pour ça qu'on le fait tous: c'est très profond dans nos gênes. Dans notre code.

Alors, la censure telle qu'on la définit aujourd'hui, c'est celle d'une autorité. "Elle passe par l'examen du détenteur d'un pouvoir", peut-on lire sur Wikipedia.

En ce sens, les oeuvres de Robert Lepage n'ont pas vraiment été censurées en 2018, même si SLAV a été annulé. L'autorité en question, les bailleurs de fonds, a simplement cédé à l'opinion publique et, ici, on est en face donc d'un comportement très ancien, et à la base même de la construction de ce que c'est, un humain. Un réflexe conditionné, genre.

Pour une raison valable ou non, les oeuvres de Lepage ont été jugées par SA société, comme socialement irrecevables, inacceptables. Par sa société à lui, à cet artiste-là. Pour une raison valable ou non, je ne fais ici que décortiquer, déconstruire les faits.

Car c'est, oui, l'artiste, qui attire le plus l'attention de l'oeil censurant de l'autre, du groupe. Il remet en question, l'artiste, il défie les règles.

Il faut ici marquer une pause et considérer l'apport plus que considérable de ce refus de se conformer de l'artiste sur l'évolution de l'espèce humaine.

L'artiste, qui est sûrement venu après que la censure sociétale (ou la morale) nécessaire à la survie ait été bien établie, mais il est venu bien assez tôt, l'artiste, avec des idées nouvelles, imagées, évocatrices, des images qui contreviennent à la norme, du nouveau... l'artiste, c'est ça qui a fait progresser l'être humain.

Si c'était pas de l'artiste, on serait encore en clans d'une centaine d'individus à cueillir des baies et à chasser des antilopes. On casserait encore des pierres à l'entrée de la caverne.

Donc j'explique... L'humain, lah, il s'est construit et continue de le faire sur le fragile équilibre entre la morale du groupe, la censure, et l'artiste avec son nouveau, sa représentation, ses liens et tout le nouveau que ça engendre à son tour. Oui, l'humain, c'est ça! Tout ce merveilleux génie (artistes, ingénieurs, chimistes, botanistes...). Mais c'est aussi notre code génétique qui rappelle à l'ordre: survie.

C'est le même genre de principes qui s'opposent, qui créent l'humain, que l'opposition d'une tendance à l'augmentation de la taille de son cerveau à une tendance génétique visant le rétrécissement du pelvis des femelles humaines. La logique voudrait que les femmes au plus large pelvis aient pris totalement le dessus, après tant de centaines de milliers d'années d'évolution, puisque la tête des bébés grossissait. Ce n'est pas le cas, et la science n'est pas certaine pourquoi cette tendance à garder les humaines avec un pelvis étroit. Peut-être pour la bipédie, mais ce n'est pas clairement démontré. Toujours est-il que c'est sur ce genre de contradiction que se construit l'humanité. Ce genre d'oppositions sans lesquelles l'humain stagne.

S'il n'y avait que des artistes et plus de censure du tout, je ne sais si la survie de l'espèce serait assurée. Peut-être, mais je ne sais pas. Mon code génétique non plus.

Lorsque la censure prend trop de place, on sait ce que ça donne: l'humain fait du sur-place, ou régresse, même. Et ça génère des artistes qui viennent contre-balancer.

Tout s'équilibre. Lorsqu'on étudie l'histoire, on voit bien que, pour une région donnée, la population croît, suivant certains apports technologiques, sociétaux ou autre qui la favorise, puis à un moment donné... la région donnée en question, elle atteint sa limite de croissance: les ressources ne suffisent plus. Alors quoi? Alors la crise. Famines, épidémies, guerres, exils...

Dans cette région. Et toute l'histoire de l'humanité est ainsi: croissance, crise, croissance, crise... Dans chaque région. L'amélioration des transports change un peu la donne, mais pas tant.

Et il en va de même pour ce qui est acceptable ou pas, et chaque région a plus ou moins d'artistes, plus ou moins de morale.

Pour des raisons clairement historiques, le Québec est une société qui produit beaucoup de morale, et beaucoup d'artistes aussi. Ce sont deux forces qui s'opposent fortement ici, s'alimentant l'une l'autre...

Comme c'est ainsi que l'humanité a progressé, je me dis que le Québec est bien équipé pour avancer dans l'avenir... et en fait ben... c'est pour ça que le Québec est plus avancé. 

Dorénavant, dans notre société, au Québec, il faudra probablement à l'artiste tenir compte du changement de l'acceptabilité dans la représentation de certains sujets.

Je suis une artiste, j'écris, j'invente, je représente. Moi-même. Mais je suis aussi citoyenne, je fais partie d'un groupe, d'une région. D'une époque. Et pour ces deux raisons, l'affaire de la censure des oeuvres de Lepage m'interpelle beaucoup, car je suis très loin d'être insensibles aux critiques... à la "censure".

J'ai travaillé avec des communautés autochtones, j'ai résidé avec eux, chez eux, je les ai transportés dans mon taxi alors que personne d'autre ne voulait les embarquer... Je connais les enjeux, je les ai étudiés, analysés. J'ai même rédigé un plan de comm. pour une communauté, 60 pages...

Et il n'y a pas de doute que ça cause problème qu'on représente leur histoire sans les consulter ni les impliquer d'aucune manière alors qu'ils sont drette là. C'est un manque de respect total, et ça, c'est selon mon opinion de citoyenne informée sur la question abordée (l'histoire des autochtones). Parce que je suis, en tant que citoyenne et membre de ce groupe, de cette région (le Québec, et l'époque), informée de, et sensible  à cette question.

Mais je suis également artiste et, moi-même, dans mon roman Cool soleil présentement en réécriture, je fais la même chose: je raconte l'histoire d'une autre nation. Et j'ai pas envie de modifier mon texte, du moins pour le moment, puisque je pense bien avoir visé juste, c'est pas pour rien que j'ai écrit ça. J'avais conscience en l'écrivant que c'est touchy. Mais pas tant touchy puisqu'il n'y a que 160,000 Sainte-Luciens et qu'ils lisent pas le français pour la plupart, mais quand même... J'ai fait le plus de recherches possibles.

J'ai pas envie de changer mon texte mais je le ferais si j'avais des informations sur la culture que je présente, Sainte-Lucie, qui m'indiquent que je me trompe.

Parce que mon oeuvre doit être vraisemblable. Sinon, je verse dans le fantastique. Remarque, il y a certains éléments le frôlant dans mon texte, le fantastique, mais c'est essentiellement réaliste. Vraisemblable. Et si une Sainte-Lucienne m'apprenait que je me trompe carrément, je me sentirais mal, et mon texte m'apparaîtrait comme ridicule. Je le jetterais ou le modifierais alors.

Parce que je vise le vraisemblable.

L'artiste baigne dans sa culture, dans sa région, dans sa zone d'acceptabilité sociale ou de censure ou de morale. À lui de choisir dans quelle mesure il veut la défier, l'acceptabilité sociale, et à la société de décider dans quelle mesure elle veut laisser l'artiste s'exprimer.

Et n'oublions pas que, dans le cas des deux oeuvres en question de Robert Lepage, il s'agit d'interprétation de l'histoire. Chaque époque fait cela, interpréter l'histoire, et notre vision de celle-ci progresse aussi, change à tout le moins. Ce sont deux forces qui s'opposent et chacune se façonne l'une sur l'autre: ici c'est plutôt l'artiste qui utilise une ancienne méthode, ou perçue comme ancienne, et la volonté publique qui exige qu'on tienne compte de certains enjeux nouvellement admis ou constatés. C'est une question d'intégration, de reconnaissance nouvelle. Les Premières nations veulent que l'artiste les engagent directement dans le processus de création, c'est une volonté nouvellement exprimée et reconnue, appuyée par la société, en 2018. Ce n'était pas le cas à une autre époque. Ce n'est pas le cas ailleurs. On est ici en 2018, et pas à Paris où Kanata n'a choqué ni étonné personne. Pour eux, c'est une oeuvre. Mais si une troupe Atikamekw présentait l'histoire des Gaulois à Paris, les Français réagiraient. C'est une question de contexte. De société. La nôtre change plus rapidement, justement grâce à l'opposition des forces en question, et ce, depuis près de 60 ans.

Par ailleurs, j'aimerais souligner qu'il s'agit de Robert Lepage, et non d'un manuscrit obscur, ni même d'un roman, fusse-t-il à grand tirage, il s'agit de Lepage et de représentations publiques... L'artiste ne peut pas ne pas tenir compte du tout de sa société et de l'impact que son oeuvre peut avoir sur celle-ci compte tenu de sa renommée.

Et certainement que l'acceptabilité sociale est plus ou moins grande, ou plus ou moins agissante, selon le médium: cinéma, théâtre, littérature, art graphique... La particularité des spectacles sur scène, c'est qu'ils ont une durée et qu'on peut empêcher leur production. Pour ce qui est du film, le public y va ou pas, mais l'oeuvre continue d'exister, pour le roman... c'est les éditeurs qui appliquent l'acceptabilité sociale via les préférences des acheteuses (puisque ce sont essentiellement des femmes qui achètent des livres au Québec). Je vais choisir de la défier le plus possible. Finalement. Au risque du refus. Parce que c'est ce que j'ai à dire. Mais ma défiance n'a rien à voir avec l'aspect que je mentionnais plus tôt d'appropriation culturelle, portion que je serais sans nul doute prête à modifier suivant de nouvelles informations le cas échéant. À suivre (en ce sens que tout progresse, tout se modifie).
Dominique Rock

Aucun commentaire:

Publier un commentaire