mardi 27 octobre 2020

Dans ma tête

La vie, c'est dans ma tête, je ne suis pas dans le monde. Depuis toujours que j'essaie de m'y insérer; j'ai cru longtemps que j'y étais. Désabusement.

Je me souviens quand j'étais enfant, j'avais demandé à un plus vieux de ma fratrie si comme moi dans leur tête les autres avaient constamment des idées, des bouts du passé, qui s'entrechoquaient sans cesse, avec de la musique qui jouait en permanence dans le background (la chanson du jour pour mon cerveau, en boucle), des mondes créés avec certains personnages du réel qui s'y insèrent, d'autres inventés... Évidemment, je n'avais pas obtenu de réponse, d'autant que je croyais m'adresser à... genre un adulte, alors qu'il s'agissait en fait d'un ado de 15 ans, mais je savais pas, moi, quand est-ce qu'on devient adulte, et je me suis demandé en le regardant, en voyant son air médusé d'une telle question de la part d'un enfant, si c'était comme ça dans sa tête à lui aussi et que peut-être il en prenait seulement maintenant conscience avec ma question candide dont je réalisais l'ampleur au fur et à mesure que je la posais, en fait, ou s'il pensait que j'étais totalement cinglée.

- Est-ce que c'est possible de ne penser à rien? ai-je poursuivi, moi, je suis pas capable, y a au moins toujours une chanson qui joue dans ma tête. Est-ce que je suis normale?

C'était au chalet, un lac paisible devant nous, la forêt derrière.

Toujours pas de réponse; je n'en ai jamais obtenu dans tout le demi-siècle qui a suivi : impossible de savoir ce qui se passe dans la tête de l'autre. On ne peut que l'imaginer à partir d'indices, jamais par des aveux verbalisés, car ceux-ci sont forcément de la littérature. Toujours.

On peut l'imaginer, le créer, quoi, mais pas savoir la vérité. C'est impossible, impossible!!! de savoir ce que l'autre a en tête. À quoi il pense, quelles sont ses images.

Ben oui, on peut en partager des petits bouts, mais c'est comme je dis: dès qu'on verbalise, dès qu'on met en forme pour l'exprimer ce qu'on a dans la tête, on fait de l'art, de la littérature... on invente, donc, on stylise, on ajoute un peu de flou, pour imiter l'ombre et donner du volume... allons vous avez bien une idée comment on dessine et représente les choses, les concepts, les idées...

Le monde des humains, je le vois depuis que je suis née, je l'observe, je l'analyse, je le critique, j'en absorbe des bouts que je digère et assimile, que je tente de reproduire. Malhabilement. Je suis pas douée pour imiter. On a ri de moi. Constamment. Alors pour sûr, j'ai conservé le doute.

Que je suis complètement cinglée.

En tout cas, puisque c'était pas agréable, ma fratrie, les non-amis, les connards de l'école, tout le monde, eh bien je me réfugiais chez nous: dans ma tête.

Dans ma tête, c'est agréable. Vivre. Je pense à ce que je veux, je réorganise les choses à ma manière, les bonnes personnes sont gentilles avec moi dans ma tête, les autres absentes. Tout y est calme et en fait assez centré sur moi.

Les petits oiseaux par la fenêtre, l'hiver qui vient, qu'est-ce qu'ils vont faire? Il va geler... Oh? Pardon madame, combien font quoi? J'étais où? Euh... Non pas la Lune y a rien à faire là.

Paf! Ayoye! Estie de monde barbare. Je suis très réveillée, crisse, pas besoin de me frapper. Tu me donnes pas trop le goût, je vais fuir encore plus loin, et tu vas disparaître. Méchante!

Non, pas moi. Mon monde est total pacifique doux, aucune confrontation, rien d'imposé. Ouains je l'invente, mais à partir de ce que je vois, entends...

Je suis dans le spectre de l'autisme, je l'ai compris en 2013-2014; j'ai lu et étudié la question, et j'ai reconnu mon cerveau, son fonctionnement, mes idées, mes gestes, mes incapacités à entrer en contact avec les autres, ou encore pire: penser que je suis en contact avec l'autre alors que je ne le suis pas du tout, que l'autre me regarde comme si j'étais un film... en se foutant de ma gueule dans sa tête, ou encore en fomentant un plan pour m'arnaquer... se jouer de moi comme un pantin.

Ceci est arrivé à plusieurs reprises. Et j'ai compris ce qui se passait par après. Bien après.

C'est difficile voire impossible pour moi de ne pas réfléchir en Aspie (Asperger), High-functioning autism, en autiste, quoi et, de toute évidence (c'est démontré), les autistes ont de la difficulté avec la théorie de l'esprit , c'est-à-dire qu'ils arrivent assez peu à figurer ce que l'autre a en tête, ses intentions, bonnes ou mauvaises, etc.

De plus, je dirais que, de l'intérieur (de l'autisme que je vis), et puisque je ne suis pas complètement autiste, j'essaie de figurer les intentions de l'autre, mais ça arrive après-coup, le lendemain, le semaine suivante, et ça part dans tous les sens. Dans tous les sens! Tout est possible puisqu'il me manque des informations fondamentales: ce que l'autre a en tête.

Ça peut virer en paranoïa, en schizophrénie et plein d'autres patentes, j'imagine, je vois le pattern, je vois le sentier que je pourrais prendre, je le raisonne et je passe mon chemin.

Alors pendant très longtemps, je n'avais aucune idée de ce qui se passait, mais je savais qu'il y avait quelque chose qui clochait. Je le voyais ben, dans les yeux des autres, que j'étais weird. Awkward, bizarre, étrange, extra-terrestre... Je le voyais ben, pis je voyais comment lorsqu'il y avait un groupe et que j'arrivais, surtout si on se connaissait pas, qu'ils communiquaient entre eux à propos de moi sans parler, sans... aucun signe apparent à part peut-être un très léger mouvement des yeux...

En tout cas, c'est ça, j'essaie beaucoup, de figurer ce que l'autre a en tête, pas comme d'autres plus au centre (j'imagine) de l'ASD qui essaient même pas (de toute évidence, j'en connais), mais j'y arrive pas.

Donc quand j'écris que y a pas moyen de savoir ce que l'autre a en tête, peut-être que je montre simplement un trait autistique, mon incapacité à... Va savoir, je sais pas. Je pense quand même que y a pas moyen de savoir ce que l'autre a en tête.

Toujours est-il que, si chez certains ASD que je connais et que j'observe, que j'analyse, ou dans le passé, il semble n'y avoir aucun effort pour savoir ce que l'autre a en tête, aucune motivation devrais-je plutôt dire, chez certains autres, c'est une analyse sommaire et vite conclue définitivement, et chez certains autres, comme dans mon cas, c'est une source de création infinie. Chaque possibilité offre une riche diversité de floraison possible et, comme je ne sais pas discriminer (autre trait autistique qui m'afflige), préférer ou favoriser un truc plutôt que l'autre (tout a intrinsèquement la même valeur pour moi), ça peut mener parfois à des scénarios plutôt farfelus et non-conformes aux attentes de... des autres humains, de la société. Des trucs irrecevables, parfois. J'en écris, je pense.

Depuis que j'ai compris mon autisme, que je le vois se déployer au fur et à mesure, et chez les autres ASD que je spotte tu-suite, mes interventions sociales sont généralement mieux mesurées, mais ça donne alors un délai malaisant. À deux ASD, on patine et je trouve ça cocasse de nous voir aller, de nous analyser au fur et à mesure de nos rares contacts en personne, ma coloc et moi. On dit ce qu'on peut, ce qu'on peut trouver à dire, des fois c'est un peu nono; mais en plus, y a une espèce de gêne entre elle et moi, alors avec le délai en plus... Et moi, ça me reste en tête longtemps, comme une photo pinnée sur le mur, je sais pas elle, je pense que non. Je sais pas, on peut pas en discuter.

Je suis comme dans un scaphandre que je contrôle mal, mon corps, mon verbal, mon social, et depuis que je sais la nature de mon scaphandre, c'est à peine mieux, je constate ce qui se passe... au mieux, j'évite des situations que je raisonne vont mal se dérouler.

C'est impossible pour moi d'être fluide dans le social, faut je me fasse à l'idée. En plus maintenant, je suis vieille. En plus maintenant, je suis transsexuelle.

Donc je me concentre sur ma tête, je me concentre sur un des rares codes sociaux des humains que j'ai réussi à saisir: la langue. L'écriture.

L'invention. Le nouveau. L'inédit.

Moi... j'arrive pas à imiter socialement. Mais je peux ré-inventer le monde et le décrire. L'écrire.

Je vais me concentrer là-dessus. Tout ça, ce que je viens d'écrire ici ce soir, c'est pour dire autrement ce qu'il y a dans ce roman, Le Sentier des monstres, dont je vais de ce pas compléter la révision finale.

Dominique Rock

lundi 26 octobre 2020

Prédispositions

Il faut que j'écrive, je ne me sens bien que quand j'écris. Les relations humaines, c'est vraiment désespérant. Pourtant si j'écris, c'est pour que l'autre me lise. Mais j'écris ici sur ce blog totalement inconnu, alors c'est comme crier dans la forêt. Dans le désert. Si j'écris, c'est forcément que j'entretiens un certain espoir de communication avec un autre être humain.

Vers la fin de sa contribution à Pink Floyd, Syd Barrett ne se donnait plus la peine de lever le bras gauche pour faire les accords. Il "strummait", c'est tout. Je comprends très bien son manque de motivation. C'est autiste, de toute évidence. C'est un manque de motivation à exprimer... à quoi bon, t'sais.

À quoi bon?

Si je cherche à communiquer, c'est que mon cerveau est pré-programmé pour ça. C'est pour aucune autre raison: c'est génétique. C'est dans le code, dans l'ADN humain: socialiser.

On peut dire que ça définit l'humain, et si on me refuse la communication, si on me rejette, qu'on me refuse l'accès au groupe, qu'on n'entend pas ce que je dis, ce que je suis (l'humain dit toujours ce qu'il est, c'est tout ce qu'il dit), alors je... ne suis pas humaine.

Si on ne me reconnaît pas comme telle, je ne suis pas humaine; si on ne m'entend pas, si on refuse de prendre connaissance de ce que je suis, on me refuse l'accès à l'humanité.

Then, je suis un monstre.

Hier, j'ai ouvert le fichier de mon roman. Ça faisait exactement quatre mois que je ne l'avais pas ouvert, un texte dont je considérais alors la deuxième révision majeure pratiquement terminée.

À la deuxième page, je m'apprêtais à faire un changement important, constatais une lacune... Soudain, je me suis arrêtée. À quoi bon? Ha! Ha! Non, c'est pas ça que je me suis dit. Je me suis dit que j'étais ailleurs et que j'allais devoir probablement tout changer le texte vu mon nouveau point de vue... sur la vie, disons. J'ai vécu pas mal depuis six mois que la pandémie dure, y a pas mal de choses qui se sont passées, notamment du côté des relations humaines... du passé qui continue de percoler...

Je sais pas trop comment aborder ça, comme une réviseuse ou...

Évidemment, il faut que j'écrive aut'chose, si je suis rendue là, mais il me faut terminer celui-là d'abord, c'est complet. C'était complet. Mais j'ai réalisé que ce ne sera jamais qu'un premier roman, quel que soit mon âge.

D'ailleurs, l'âge... c'était déjà un thème essentiel du Sentier des monstres, c'est... essentiel. La jeunesse. C'est ça la drive du monde, de l'humanité.

Mais enfin, pourquoi veux-je dire? À quoi bon? Personne n'écoute, tout le monde s'en fout, de ce que j'ai à dire; je n'ai justement plus vingt ans, et l'usure du temps érode l'illusion que quelqu'un écoute.

Parce que c'est pré-codé dans la partie de moi qui est Homo Sapiens, voilà pourquoi. L'autre partie de moi n'est pas de cette espèce pour qui communiquer avec ses semblables est essentiel à sa survie et regarde avec circonspection la partie principale qui se perd dans une danse sans but apparent devant des mondes qui germent à tout moment sous la chaleur des flammes des émotions émises par ces mondes inventés mêmes. L'autre partie de ma chimère de vie n'est pas totalement humaine.

Bon... c'est exactement de ça que traite Le Sentier des monstres, en fait. J'y retourne et je vais le finir. C'est un premier roman. J'aurai encore aut'chose à dire après.

Même si ça ne sert à rien. Allô?

??

Dominique Rock