jeudi 17 décembre 2020

Catalogue

J'ai toujours aimé le linge féminin, en regardant les catalogues quand j'étais enfant déjà... Dans le temps, y avait pas Internet, pas de jeux vidéos, rien, pis juste trois postes à TV. Pas de cassettes vidéos, juste les très riches avaient ça. Souvent, le temps était un peu long et on cherchait quoi faire. C'était un geste automatique fréquent, dans le temps, de pogner un catalogue qui traînait là, pendant un moment de plattitude au salon, ou dans une pile sur la tablette du bas de la petite table, dans toute maisonnée.

La société, notre entourage nous formate, quoi qu'on en dise, donc évidemment je fouillais les trucs de garçons, l'équipement de sport, les casques de motos, je sais pas. Les différents genre de couvre-sièges d'auto disponibles, des décalques de flammes et de Woody Woodpecker fâché avec une cigarette au bec (que j'avais collé sur ma chaloupe à moteur au chalet). Je tentais d'entrer dans le moule qu'on me présentait en aimant les autos, les motos, le hockey.

Mais c'était vraiment pas organique. Vraiment pas, et je le découvre presque demi-siècle plus tard. Toutes ces envies que je tentais de cultiver, les activités de garçons, j'avais intrinsèquement aucun intérêt pour ça. Même chose à la section des jouets, je me souviens, je comprends ces moments maintenant en les analysant froidement: clairement à cette époque, ma principale motivation était de m'intégrer à la société, je voulais le jouet qui ferait que les autres gars diraient: wow!, et pas la poupée ou la cuisinette, je sais pas, ouais, en fait, je me rappelle que je voulais un four jouet Betty Crocker, je me souviens de ça soudainement, mais on me disait: hein? Y en a un four dans la cuisine anyway. Puis ma soeur avait eu un microscope, et ça m'intéressait même pas anyway, mais c'était quand même un plus beau cadeau que le mien, comme à chaque année (mais ça, c'est une autre histoire). Toujours est-il que je trippais pas tant sur les jouets de filles dans le catalogue, mais c'est surtout (en fait uniquement) parce que j'avais tout simplement pas le droit d'être en train de regarder ça, alors je faisais ça généralement vite fait, ces pages.

Par contre j'ai assez tôt fréquenté les pages de sous-vêtements féminins et, même si à l'époque je checkais parfois aussi des revues pornos si par hasard je tombais sur une, et même si j'appréciais aussi les courbes des modèles sur ces pages de brassières et de culottes, je trouvais ça simplement beau, esthétique, puis je checkais aussi toutes les pages de mode féminine que j'appréciais quand même vite fait, parce que, comme j'avais démarré cette fouille du catalogue aux pages de sous-vêtements féminins, je me sentais encore protégé de l'opprobre sociétale puisque je pouvais feindre la suite d'événement d'avoir abouti sur les chandails de femmes en continuant de prétexter que c'est le corps des femmes, habillées ou pas, en fait, qui m'intéresse. Ça, c'était acceptable, on trouvait ça normal qu'un préado, puis un jeune ado soit attiré par des corps de femmes. Sans l'encourager, ça allait genre de soi, t'sais... Normal. Par contre la section des poupées... aucune excuse: maudite tapette si je checkais ça.

Je pouvais pas regarder ce que je voulais dans la catalogue, ma société m'entourait, et la pression sociétale pour agir comme ci et pas comme ça est énorme. En tout cas je parle ici de la mienne, fin 1960 et les années 1970. Le catalogue était dans le salon et on était une gang. De nos jours il y a d'autres oppressions sociales, pas les mêmes, quoi que...

Clairement, la société autour de moi, que ce soit mes frères, mes soeurs, mes parents, les autres jeunes à l'école, m'a indiqué ce que je devais... aimer. J'aime pas les motos que mes frères possédaient, ce qui m'incitait à aimer les motos, ni la plupart des jeux de garçons, sauf les jeux de hockey. Dans le catalogue, c'est ce qui m'intéressait le plus: le hockey sur table, un jeu d'hockey qu'on appelait, avec une surface en carton peint et des bonhommes en plastique avec les uniformes, et les tiges pour les contrôler.  Ça, t'sais, le hockey, ça traverse assez la société québécoise pour qu'on puisse presqu'en dire que c'est une valeur de base. J'ai toujours été une fille amatrice de hockey, et joueuse, c'est ben pour ça que j'étais si poche: j'étais pas un garçon; je profitais d'ailleurs pas l'apport de testostérone dont profitaient les joueurs devant moi. J'étais gardienne. Je comprenais même pas toutes les règles. Pourtant, j'ai joué un an Bantam et trois ans Midget (ils avaient pas de gardien LOL).

J'aime encore le hockey, mais différemment, et je m'inquiète vraiment, même pour un joueur adverse, lorsqu'il se fait planter sur le bord de la bande, et j'arrive pus à regarder aut'chose que les matchs du Canadien de Montréal. L'intérêt a baissé mais reste. C'est bien implanté. Mais les filles ont toujours eu le droit d'aimer le hockey au Québec. Comme je disais, c'est une valeur de base. Donc il n'y avait pas de contradiction pour moi lorsque je me suis admis que je suis trans à continuer d'aimer le hockey. Mais comme je dis, je le regarde vraiment différemment.

C'est l'esprit de compétition qui a réduit à presque rien, un souvenir. Exactement cela, un souvenir, comme pour bien d'autres aspects de ma personne, plusieurs sont gravés par l'habitude, et mon corps tout comme mon cerveau en ont le souvenir, et poursuivent le geste, genre, malgré l'absence de contrainte, l'absence de la testostérone. Suite logique... Je sais pas, y a comme un embranchement possible à continuer d'aimer les mêmes choses qu'avant même si on change de paradigme: de homme à femme. Plusieurs trans d'homme à femme continuent d'aimer sexuellement exclusivement les femmes, et c'est pour cette raison: un pli de l'esprit. Un souvenir, une habitude.

Personnellement, j'ai tout remis en question en 2008-2009 et, très rapidement, il m'est apparu que je ne sais pas quelle est mon orientation sexuelle. Je me définis donc depuis comme bisexuelle puisque c'est ça que c'est: les deux m'attirent, et pour différentes raisons, l'une plus sensuellement, l'autre plus sexuellement.

Et c'est de plus en plus clair pour moi que, l'orientation sexuelle, l'attirance sexuelle, elle est également la conséquence essentiellement des modèles de la société qui nous entourait dans l'enfance, et non "naturelle", comme la plupart des gens le pensent . Je suis convaincue être née bisexuelle, et selon moi c'est le cas de tous les humains.

Si on fait le grand ménage dans nos idées et qu'on analyse les influences qu'on a pu avoir ou pas dans notre environnement premier, dans nos goûts, ce qu'on aime vraiment, sans tenir compte du tout de ce que les autres en pensent, eh bien quand on fait ça, on peut découvrir ben des affaires sous les couvertures, les couvre-divans, sous les tapis et tapisseries de notre vie.

Les humains vivent essentiellement dans une espèce d'invention de l'esprit, le cerveau d'Homo-Sapiens est ainsi construit pour nous faire chercher le social, à intégrer un groupe. Il en va de notre survie: un humain seul peut difficilement survivre. On se reporte à il y a 50 000 ans, là... un humain seul ne pouvait pas survivre.

Il est donc génétiquement essentiel pour l'humain de socialiser; il a une part de son cerveau spécialement dédiée à différencier un visage de l'autre, très précis pour les gens de sa propre culture, très vague s'il s'agit d'humains d'un autre endroit et qui présentent un faciès différent. C'est un outil de spécialisation extrême pour ce qui est de la reconnaissance faciale, le cerveau des humains. Et cela encore, c'est une stratégie génétique de survie (rester avec son groupe, restons groupés...).

Ce que je dis, c'est que Homo Sapiens vit dans un monde inventé: le social, pour s'extirper d'un monde sauvage et violent dans lequel il n'a essentiellement aucune chance de survie. Il vit donc à côté de la vie.

Le chien, le chat, la vache ne sont pas dans ce monde inventé, et c'est ce qui créé un décalage qui nous émeut. Lorsqu'on décroche du monde inventé des humains, quelques jours en solitaire sur le bord d'un lac paisible, ou en jouant avec le chien, ça nous émeut: on a l'impression de vraiment vivre. Pourquoi tu penses? Parce que c'est le cas: la vie des humains dont on décroche est un théâtre artificiel (inventé) dans lequel performer à la hauteur afin d'être socialement intégré et donc survivre demande beaucoup d'énergie parce que, justement, c'est pas réel, et il faut retenir tous les codes, quoi dire, quand se taire, comment agir, comment réagir... Tout le monde se check partout: t'as pas le droit de faire ça, qu'on dit avec les yeux à un inconnu... Tout ça, c'est dans la tête, ça n'existe pas, c'est pas des lois de la nature. C'est des lois et règlements inventés par et pour les humains. Pour leur survie. C'est génétique.

On n'est pas très loin, génétiquement, des chasseurs-cueilleurs, quelque 200 générations si on compte. C'est pas énorme pour des changements génétiques. Donc notre corps et notre cerveau est encore au niveau d'il y a 5000 ans, environ. Pourtant nos moeurs et notre morale, nos manières d'être en société ont bien changé, vraiment beaucoup. Il y a 5000 ans, c'était des déesses qui nous guidaient, pas des dieux, et le mâle n'avait pas l'importance qu'il a pris peu après dans les sociétés humaines

Donc, ce que je dis, c'est que la plupart de nos comportements sont appris, ce qu'on aime, c'est ce qu'on nous a dit être bon, ce qui était socialement acceptable d'aimer, que ce soit côté aliments, visages et corps qui nous plaisent, musique, arts visuels... et c'est génétiquement calculé pour notre survie.

Mais on ne vit plus comme il y a 5000 ans. Homo Sapiens a largement dépassé sa génétique, s'est dépassé lui-même, donc. De là le décalage qu'on peut sentir entre ce qu'il faut (faire, dire, aimer...) et ce qu'on veut ou aime. Et si on s'ouvre à soi-même au plus profond, il y a peut-être moyen de savoir ce qu'on aime vraiment. Il faut pour ça identifier ce qui nous a construit, et le déconstruire au besoin. Ou à tout le moins comprendre.

Comprendre pourquoi que telle affaire nous attire, ou simplement y ouvrir la porte pour voir si c'est plaisant, et ce, sans tenir compte de l'avis des autres, ce qui est génétiquement très difficile pour Homo-Sapiens, mais tout de même possible.

Faut se déconstruire, parce que le modèle qui nous gouverne était mauvais au départ. Mauvais au départ et résultat d'une usurpation de pouvoir qui s'est opérée lors de la sédentarisation des humains, il y a 7000-10000 ans. Le divin a switché du féminin au masculin, et la structure sociale qui en découle suit le moule. Mais c'était pas de même avant. On pouvait plus être soi-même, et aimer porter des robes si ça nous plaisait.

Quoi qu'il en soit, je me sens beaucoup mieux depuis que je ne suis plus envahie par la testostérone, mais c'est quand même tough être ce que je suis. Très grande pression sociale.

Dominique Rock


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