jeudi 26 septembre 2019

Le sentier des monstres

J'ai pas pu choisir. J'attendais au Crossroads Café, voir quel route allait se dessiner. Puis ça s'est effacé. Le Café n'était pas à un crossroad en fait. Il n'y a pas de routes. Peut-être y en a-t-il déjà eu, des routes, de là son nom, j'imagine, encore que ce soit flou ça aussi.

Toujours est-il que c'est ça, là. Je suis sortie et il n'y avait pas de routes, juste une cabane de bois avec une affiche tombée rappelant la jonction de son nom.

Il n'y a pas de chemin, à peine une trail, encore que ce soit incertain. Il faudrait que je m'avance dans la nature au soleil pour voir si c'est un sentier qui mène peut-être quelque part ou si ça mène juste genre aux chiottes ou au cimetière.

Je sais pas, pas envie de voir non plus, je retourne au Crossroads Café. Je vais y réfléchir. Pourtant, j'ai bel et bien vu des routes en arrivant. D'ailleurs comment aurais-je aboutir ici sinon par une route? Hum... je ne suis nulle part. 

Je n'ai pas vu le barista, pas vu personne depuis que je suis ici. Je veux un café, il est là. Un peu comme un rêve. C'était ainsi, je me souviens, quand j'étais enfant. J'étais pas vraiment là, je comprenais bien ce que les adultes se disaient entre eux à mon sujet, avec leurs mots, leurs yeux, leurs mimiques... je comprenais qu'ils disaient que je ne semblais pas vraiment toute là, pas vraiment dans l'ici maintenant, mais je ne voyais pas comment je pourrais être autrement. Comment les choses pourraient être autrement.

J'étais constamment comme aspirée ailleurs... Je voyais la classe, mes collègues étudiants, la prof devant, je m'en souviens encore très clairement (des bouts de films dans ma tête), chaque prof à chaque niveau, toute la gang de crisses de mongols qui avaient le même âge que moi et que j'ai été forcée de côtoyer pendant fucking six ans au primaire, je voyais tout ça comme en arrière-plan, en flou un peu, avec le son qui entre par une oreille et ressort direct par l'autre, genre, t'sais... avec les moineaux dehors qui se déplacent par volées difficiles à ne pas remarquer. Puis Mme Lépine, Mme Brazeau, ou Mme Roy, ou fucking bitch Mme Hotte m'extirpait de la ouate dans laquelle je flottais pour bien me montrer le réel, à coup de tapes sur la gueule ou de sarcasmes méprisants. Heureusement, j'étais quand même pas mal en avance côté lecture sur 95% de la classe, alors je me remettais vite dans le contexte et offrais des réponses plus ou moins satisfaisantes.

Mais deux secondes plus tard, en regardant le cul de la prof s'éloigner, l'espèce de glue se reformait tout autour de moi. Je flottais, engluée.

C'était de l'évitement, de toute évidence. Je détestais être là, j'ai toujours détesté l'école, surtout les autres, je veux dire les autres élèves, et c'était réciproque. Ils me voyaient comme un monstre, c'est-à-dire presque humaine. Mais pas tout à fait, sans qu'ils puissent mettre jamais exactement le doigt sur l'exacte nature de ma monstruosité.

"MONSTRE: être vivant ou organisme de conformation anormale."
Cf Robert

"Le monstre est ce que l'on montre du doigt, et aussi ce qui se montre, ce qui traduit la puissance divine de la Création, capable de mettre du désordre dans l'ordre ou le contraire, provoquant soit la terreur, soit l'admiration. L'écart avec la norme est à double sens, la frontière s'efface entre les monstres et les merveilles."
Cf Wikipedia

Je vais prendre ce sentier demain, voir si c'est un sentier et... s'il me plaît, ou s'il y a d'autres voies, je ne sais pas. Les chemins que j'ai empruntés dans le passé n'ont jamais mené nulle part. J'ai abouti ici et il n'y a même pas de routes. Je ne sais comment et ça n'a aucune importance.

J'ai un sentier à... faire découvrir.
Ça sera pas très long.
Bonne nuit.
Dominique Rock

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